7.
L’intrus

 

Avril 1986

 

Aujourd’hui, j’ai surpris Gìomanach, qui a maintenant trois ans et demi, penché au-dessus d’un bol rempli d’eau. Il le fixait tellement fort qu’il en louchait presque. Lorsque je l’ai interrogé, il m’a dit qu’il lançait un sort de divination pour sa petite sœur. La Déesse en soit témoin, j’ai sursauté. Nous ne lui avions pas encore dit que Fiona attendait notre troisième enfant, et il le savait. Il apprend étonnamment vite.

Je lui ai demandé s’il avait vu quelque chose, sachant qu’il est bien trop jeune pour la divination. Il m’a répondu qu’il avait eu l’image d’une petite fille aux yeux et aux cheveux sombres. J’ai souri, lui assurant que l’avenir nous dirait s’il avait vu juste. Pourtant, ma lueg m’a déjà montré notre Alwyn : comme sa mère, elle aura les cheveux roux et les yeux verts. Manifestement, l’eau a menti à mon garçon. À moins qu’elle ne lui ait révélé une autre vérité.

Puis Gìomanach a abattu la paume de sa main sur le bol, si bien que l’eau a giclé partout. J’allais le gronder mais, en voyant son sourire malicieux, je n’ai pu m’y résoudre. Il illumine ma vie comme un soleil. Après avoir vécu dans la crainte pendant deux ans, je commence à croire que rien ne va nous arriver, que la vie peut être simplement merveilleuse.

 

Maghach

 

* * *

 

Le mercredi matin, une fois garée sur le parking du lycée, j’ai laissé ma sœur partir devant et je suis restée un instant dans la voiture pour réfléchir au cercle de la veille. Même si j’avais toujours été plus ou moins embarrassée que les autres me considèrent comme le prodige du coven, j’avais trouvé un plaisir certain à être le centre de l’attention. Pour la première fois de ma vie, j’avais eu l’impression d’être spéciale. Est-ce que j’avais perdu cela aussi ?

— Morgan ? Morgan !

J’ai sursauté. Je n’avais pas vu arriver mon amie Tamara Pritchett, qui tapotait à la vitre. Son souffle formait des panaches blancs dans l’air froid matinal.

— Tu vas être en retard, a-t-elle ajouté lorsque j’ai baissé la glace. Tu n’as pas entendu la sonnerie ?

— Euh… non, ai-je marmonné. J’étais perdue dans mes pensées.

Pendant que nous nous dirigions vers la salle de classe, elle n’arrêtait pas de me lancer de drôles de regards en coin. Tout le monde savait que Cal était parti et qu’un feu avait ravagé le pavillon de jardin. Lorsqu’on m’interrogeait, je répondais que nous n’étions plus ensemble, que je ne savais pas où il était ni ce qui avait provoqué l’incendie. Cependant, mes amies proches, comme Tamara et Janice, que je connaissais avant de découvrir la Wicca, sentaient que je ne leur disais pas tout.

À midi, après les cours, j’ai apporté Das Boot au garage afin de demander un devis pour les réparations. J’allais toujours au même endroit, chez Bob Unser. Son atelier se trouvait au milieu d’un immense terrain grillagé rempli de voitures, entre l’autoroute et la carrière de gravier de Stuart Afton. Quand je suis passée devant le panneau portant le nom de l’homme d’affaires, j’ai fulminé en pensant au destin de Magye Pratique.

Lorsque je me suis garée à l’intérieur du hangar, Bob est venu m’accueillir. C’était un homme bourru aux cheveux gris qui portait tout le temps le même bleu de travail. Il s’est essuyé les mains sur un chiffon, puis a caressé Max, son berger allemand. Le chien s’est approché de moi et m’a léché la main. Il faisait un piètre chien de garde ! Ils me connaissaient bien, tous les deux, car je venais régulièrement.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé, cette fois ? m’a demandé le garagiste en découvrant le capot enfoncé, brûlé, et le phare brisé.

— Euh… disons que j’ai percuté un bâtiment en feu.

— C’est pas banal, a-t-il marmonné.

J’ai resserré mon manteau autour de moi pendant qu’il inspectait ma voiture en prenant des notes sur une fiche.

— Je dois passer un coup de fil pour connaître le prix des pièces détachées. Ensuite, je pourrai te faire un devis.

— Génial…

Les réparations allaient sûrement me coûter les yeux de la tête, et je ne savais pas comment j’allais pouvoir les payer. Je ne voulais pas faire marcher l’assurance de mes parents pour que leurs cotisations n’augmentent pas à cause de moi.

Bob a disparu dans un petit bureau. En l’attendant, je me suis agenouillée près de Max pour le caresser. Soudain, sa fourrure s’est hérissée sur sa nuque et son grognement a résonné dans le hangar. Je me suis relevée, sur le qui-vive.

Le chien s’est approché de la sortie, puis il a bondi à l’extérieur en aboyant rageusement. L’instant d’après, j’ai moi aussi ressenti quelque chose. Une présence magyque. Là, dehors. Le cœur battant, j’ai suivi Max à petits pas.

Lorsque j’ai déployé mes sens, plusieurs impressions se sont imposées à moi : ruse, dissimulation, magye noire. Cette chose ne me paraissait pas humaine. Combattant la peur, je me suis forcée à tracer dans l’air Peorth, la rune des révélations. J’ai fermé les yeux pour la visualiser mentalement jusqu’à ce qu’elle devienne une entité tridimensionnelle qui brillait d’une lumière rouge. D’instinct, j’ai commencé à fredonner ma chanson :

— An di allaigh…

Tout à coup, un vent mauvais a balayé la cour du garage, avec un bruit étrange qui évoquait l’envol d’une nuée d’oiseaux. J’en ai eu la chair de poule. D’un bond, Max est revenu près de moi sans cesser d’aboyer. Je n’ai rien vu, pourtant, l’atmosphère me semblait plus légère. L’intrus avait quitté les lieux.

— Ben, qu’est-ce qui se passe dehors ? C’est quoi ce raffut ? a lancé Bob depuis le bureau.

J’ai regagné le hangar et je me suis appuyée contre ma voiture pour qu’il ne me voie pas trembler.

— Max a dû entendre quelque chose, ai-je répondu en regardant le chien trotter jusqu’aux pieds de son maître.

Comme il continuait d’aboyer, Bob l’a caressé pour le rassurer.

— OK, mon grand, OK. Ce soir, on ferme la grille à double tour.

Il est retourné dans le petit bureau avant d’en ressortir avec un devis qu’il m’a tendu : sept cent cinquante dollars !

— Il faut que je fasse une commande spéciale pour le pare-chocs et le capot, m’a-t-il expliqué. Comme ils ne fabriquent plus les pièces détachées pour ce modèle, je dois les faire venir d’une casse de Pennsylvanie. Appelle-moi quand tu te seras décidée.

Je l’ai remercié, ne l’écoutant que d’une oreille. Avant de partir, j’ai tracé sur le front de Max la rune de la protection, Eolh. Je suis rentrée à toute vitesse, morte d’inquiétude. Qui s’était tenu là, dehors ? En avait-il après moi ? Était-il lié à la force maléfique que j’avais sentie l’autre nuit ? Était-ce Cal ou Selene ?

 

* * *

 

L’incident au garage m’avait ébranlée. En arrivant à la maison, j’ai décidé de prendre les mesures qui s’imposaient. Même si je n’étais pas sûre d’être la cible de ce mystérieux pouvoir, je ne voulais courir aucun risque.

Comme Mary K. était chez Jaycee, j’ai pu agir en toute tranquillité : après avoir récupéré l’athamé de Maeve dans sa cachette, je suis sortie dans le jardin pour vérifier que les runes de protection placées par Sky et Hunter étaient toujours actives. Au contact de l’athamé, elles ont brillé d’un éclat rassurant : elles n’avaient rien perdu de leur force.

Ensuite, je me suis enfermée dans ma chambre. Un autel. Il m’en fallait un absolument. J’y pensais depuis longtemps, mais je n’en avais jamais autant ressenti le besoin. Je ne pouvais pas en dresser un au milieu de ma chambre : même si mes parents avaient compris que j’étais une sorcière et qu’ils n’y pouvaient rien, je ne voulais pas les inquiéter inutilement.

Ma chambre n’étant pas très grande, je ne voyais pas où cacher mon autel. J’ai réfléchi un instant. Ma penderie ! Elle était si profonde qu’on pouvait y entrer et s’y tenir debout. Dans le fond, j’ai trouvé ce que je cherchais : une petite malle en métal que j’utilisais à l’époque où je partais en colonie.

Après avoir farfouillé un instant dans le tiroir de ma commode, j’en ai sorti l’étole en lin prune que ma tante Eileen m’avait rapportée d’Irlande. Elle recouvrait parfaitement la malle. Et voilà, le tour était joué, j’avais fabriqué mon autel.

Ensuite, j’ai déposé sur un coin une coquille Saint-Jacques rose et blanc – elle représentait l’eau. Pour la terre, j’ai pris un morceau d’améthyste dans la boîte de Maeve, puis j’ai ajouté aux deux autres coins une bougie et un bâtonnet d’encens – le feu et l’air. Tout était prêt. Pour m’en servir, je n’aurais qu’à tirer la malle au milieu de la pièce.

Je me suis assise devant mon autel rudimentaire. Malgré sa simplicité, il me semblait parfait. Un petit museau est venu se frotter à moi. Dagda.

— Voilà où nous allons invoquer la Déesse, lui ai-je expliqué en caressant son dos soyeux.

Il m’a répondu par un ronron sonore.

Que ma magye soit forte et pure en ces lieux, ai-je prié mentalement. Que mes sorts apportent guérison et plénitude.

Et qu’ils me protègent, n’ai-je pu m’empêcher d’ajouter.

Le danger
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